Des milliards d’économies possibles sur les prix abusifs du médicament en France
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 Réduisons le déficit de l’assurance maladie sans remettre en cause l’accès aux soins pour tous. Au delà des grands scandales sanitaires (Médiator®, Isoméride, Distilbène, Vioxx…), un autre scandale affleure : celui de la surfacturation du prix du médicament par rapport à nos voisins européens.

Tout récemment, nous avons appris que le laboratoire américain Gilead surfacture le Sovaldi (son médicament innovant contre l’hépatite C chronique de l’adulte) 256 fois son prix de revient : la cure de l’anti-viral coutant 56 000 euros par patient alors que la fabrication des 84 pilules coûte globalement 200 euros environ. En y incluant la recherche, ce prix est à l’évidence au moins dix fois plus élevé que le coût réel total.

Chaque année, les Français consacrent 2% du PNB à la consommation de médicaments. C’est entre 50% et 100% plus que nos voisins les plus proches.

En luttant contre cette surfacturation l’assurance-maladie pourrait réaliser au moins 10 milliards d’économies.

En Italie, on constate que le coût des médicaments en ville et à l’hôpital s’élève pour 2013 à un peu moins de 18 milliards d’euros contre 34 milliards pour la France, soit 85% de plus à populations égales pour les mêmes résultats sanitaires.

Les prix des génériques sont supérieurs de 30% en moyenne à ceux pratiqués en Italie. De même, les génériques sont deux fois moins prescrits en France qu’en Angleterre, aux Pays-Bas ou en Allemagne car on préfère les « vrais-faux » nouveaux médicaments, beaucoup plus chers, sans plus-value thérapeutique, et à la pharmacovigilance méconnue car trop récente. Une étude récente a montré que si la France alignait ses prix sur ceux de l’Italie, elle pourrait économiser 2 milliards d’euros sur les 6 Mds€ de génériques prescrits en ville.

L’assurance maladie accuse un déficit en 2013 de 7,7 milliards d’euros. Lors de l’examen du projet de loi sur l’assurance maladie 2014, le gouvernement a souhaité limiter la hausse des dépenses de santé à 2,4 % en baissant le prix de certains médicaments remboursés, les tarifs de certains professionnels de santé et en réduisant les dépenses hospitalières. Or, justement le vrai risque aujourd’hui c’est une privatisation rampante du système de santé publique liée notamment à la dégradation du système hospitalier provoquant une inéquité de traitement et d’accès aux soins. En matière de santé publique les fractures sociales et territoriales existent bel et bien.

Comment en sommes nous arrivés là ? Parce qu’en France, la transparence ne règne pas dans le monde de la santé publique. Les intérêts privés viennent heurter l’intérêt général ; parce nous ne sommes toujours pas sortis de la confusion entre l’Etat et les groupes pharmaceutiques. D’ailleurs, les dernières affaires Cahuzac et Morelle ont révélé ces situations de conflits d’intérêts au plus haut sommet de l’Etat.

Si nous en sommes arrivés là, c’est notamment à cause du poids des firmes pharmaceutiques dans la fixation des prix des médicaments. C’est l’Etat qui négocie avec les industriels le prix remboursable aux assurés sociaux de chaque médicament. Selon  le discours de communication des laboratoires, les prix élevés sont indispensables pour couvrir le coût de la recherche. Sur une dizaine de milliers de molécules testées, une seule en arriverait au stade de la mise effective sur le marché. Résultat : 800 millions d’euros de recherche et développement  nécessaire pour chaque médicament.

Mais la réalité est toute autre. Les laboratoires gonflent les chiffres en y incluant les dépenses de lobbying, de marketing, de communication et tout ce qui entretient le système de désinformation : les visites médicales, la formation médicale continue – financée à 98% par les labos – le sponsoring de la presse médicale, d’associations… Au final, la recherche coûterait 20 fois moins que ce que prétendent les entreprises. Elles continuent néanmoins à nous présenter comme révolutionnaires des médicaments qui ne le sont pas car le progrès thérapeutique est en panne depuis de nombreuses années (à l’exception du ciblage tumorale). C’est ainsi que les laboratoires nous présentent de nouvelles variantes à peine modifiées d’anciennes molécules, médicaments à brevets expirés sortis sous une forme légèrement remaniée… Sur les 278 nouveaux médicaments présentés en 2009 par les labos, seuls 5 représentent des avancées thérapeutiques majeures réelles selon une étude indépendante.

 Les laboratoires sont donc les premiers responsables de cette inflation du prix du médicament en France, mais aussi les autorités de régulation qui les adoubent, les médecins qui leur font une confiance aveugle, et surtout les politiques qui les choient, faisant de la surconsommation et la surfacturation de médicaments un soutien implicite à une filière industrielle. Le système entier est structurellement pharma-amical. Il est temps que ceux chargés de préserver l’intérêt général et la santé publique exercent leurs responsabilités. Il faut pour cela une réforme totale de la filière du médicament, avec :

  • ·      une lutte sans relâche contre les conflits d’intérêts. Pour cela, non seulement les élus et les experts qui représentent l’Etat face aux laboratoires, mais aussi tous les médecins, doivent rendre publics leurs liens avec l’industrie pharmaceutique. Il faut sanctionner plus durement les laboratoires qui ne déclarent pas leurs liens avec la formation des médecins avec l’instauration d’une pénalité à hauteur de 10% du chiffre d’affaire, qui nourrira la recherche publique et la formation des médecins.
  • un arrêt des autorisations de mise sur le marché de complaisance, pour des médicaments sans plus-value thérapeutique et à prix prohibitifs.
  • une purge des médicaments mis sur le marché qui ne servent  à rien : seuls ceux qui ont un réel intérêt thérapeutique doivent être remboursés.
  • Un « désarmement promotionnel » de l’industrie, par la restriction de son budget publicitaire et la réforme du système des visiteurs médicaux. Le déploiement des médicaments génériques passe en effet par l’évolution des visiteurs payés par l’industrie vers le métier d’ « informateurs pharmaceutiques indépendants ».
  •  une baisse générale des prix des médicaments et leur fixation à partir des données européennes et non plus de façon opaque comme actuellement par leCEPS (Comité économique des produits de santé). Pourquoi n’arrive-t-on pas à ce prix européen qui éviterait les dérives du contingentement constatées en Europe ?
  • une optimisation de la prescription médicale dans toutes les classes thérapeutiques avec la généralisation des génériques et l’uniformisation européenne de leur prix.

La seule condition pour agir sur le coût de tous les médicaments est de changer complètement la rémunération du pharmacien à la marge commerciale dégressive qui n’est plus du tout adaptée. Elle doit être substituée, à périmètre constant, par un honoraire de dispensation assorti d’une indemnité de stockage qui peut être mis en place en quelques mois sur la base de négociations paritaires à l’instar de ce qui se fait en Italie.

Il convient de construire un mur parfaitement étanche entre les intérêts privés et la décision publique dans le domaine de la santé. Cette dernière doit être fondée uniquement sur l’intérêt général, la transparence et les principes qui fondent le service public pour les usagers : gratuité et égalité d’accès.

Notre santé n’est pas une marchandise !

 

Par

Serge RADER (pharmacien, lanceur d’alerte)

Et Michèle RIVASI (députée européenne écologiste, fondatrice de la CRIIRAD)

Tribune parue dans libération le 5 août 2014

http://www.liberation.fr/societe/2014/08/04/trop-chers-trop-prescrits-les-medicaments-tuent-la-securite-sociale_1075465

Illustration : Xavier68 – creative commons