[Yannick Jadot] La mégacentrale biomasse de Gardanne, un monstre industriel qui ne sert pas la transition
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Avant de participer demain à la grande manifestation de Gardanne, j’ai écris ce texte avec Hannah Mowat , chargée de campagne Forêts et climat de l’ONG FERN et Rémy Carrodano, coordinateur des réseaux citoyens de Gardanne pays d’Aix

La mégacentrale biomasse de Gardanne,
un monstre industriel qui ne sert pas la transition

« Aujourd’hui, la transition énergétique en France est devenue réalité. Un nouveau modèle énergétique a émergé à côté du vieux modèle centralisé, obsédé par la rente, bâti sur l’offre et trusté par quelques géants qui se partagent le business. Des alternatives fleurissent partout sur nos territoires, grâce à des citoyennes et des citoyens, des localités et des régions, qui reprennent leur destin énergétique en main, proposant des projets durables autour des énergies renouvelables. Cette révolution douce, nouvelle la plus enthousiasmante de ces dernières années, répond à une urgence climatique de rester sous le seuil des 2°C de réchauffement à la fin du siècle pour éviter le chaos climatique.

La centrale de Gardanne, c’est la conversion du charbon à la biomasse, le résultat d’un appel d’offres lancé par l’État en 2010 pour atteindre son objectif de 23% d’énergies renouvelables d’ici 2020, et gagné par E.On, le géant énergéticien allemand. Cependant, cette reconversion de l’ancienne cité minière est controversée, et pour cause.

En abandonnant le fossile pour la combustion du bois, cette méga centrale biomasse prévoit de brûler 855.000 tonnes de bois par an pour une puissance de 150 MW – la consommation annuelle de 440 000 ménages, hors chauffage. Un volume disproportionné qui excède largement les capacités de production de bois énergie de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), estimées au mieux à 700.000 tonnes/an. L’État assure qu’en 2026, la centrale ne consommera que du bois local, bien que les locaux martèlent que les risques de déforestation et les dégâts d’une exploitation forestière de type minier sont bien réels. En attendant, au démarrage, 55 % de la ressource seront importés du Brésil, d’Amérique du sud, du Canada, d’Afrique, d’Europe de l’est… Cela entraînera un trafic quotidien de 180 camions auxquels s’ajouteront 30 à 40 camions pour les autres approvisionnements de la centrale, sur un périmètre de 400 km (soit un tiers de la France). Que restera-t-il pour les autres projets déjà présents sur ces territoires, comme des petites unités de chaufferies ou de cogénération fonctionnant avec la biomasse locale ? C’est bien la question posée par les acteurs de la région engagés dans le développement rural qui essaient de lancer des projets de chaufferies locales.

Deuxième aberration, le rendement du process E-ON. La production d’électricité à partir de biomasse n’est que d’environ 37%, un gaspillage notoire de la ressource pourtant surexploitée, équivalent à un ratio de 3 arbres valorisés pour 10 brûlés. De plus, le rejet dans l’atmosphère de plus de 100 tonnes de particules fines par an, ajoutées aux poussières de bois, impacteront directement les habitants du bassin régional, une pollution invisible catégorisée comme très néfaste pour la santé par l’Organisation mondial de la santé (OMS).

Cette logique industrielle passéiste pourrait se révéler coûteuse pour les consommateurs français. Le rachat de sa production électrique assure à l’industriel E.On 70 millions d’euros chaque année durant vingt ans, soit 1,4 milliard d’euro au total prélevé sur la facture d’électricité des françaises et des français. Une vaste opération de hold-up de l’argent public, sans concertation des acteurs locaux.

À l’heure où la Commission Européenne se penche sur l’élaboration des critères de durabilité de la biomasse solide et du biogaz, visant en particulier les risques liés aux importations de biomasse, la centrale de Gardanne représente une contre-référence majeure pour le développement des énergies renouvelables en Europe.

Le déploiement de mégaprojets en l’absence de toute logique territoriale, sans aucune concertation des acteurs concernés et sans réflexion sur le coût environnemental de cette conversion n’est évidemment pas la solution. Un développement systémique et intelligent des projets biomasse – et renouvelables en général, doit être pensé, afin d’améliorer l’autonomie énergétique du pays, de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, de valoriser les ressources naturelles locales et les déchets, tout en permettant la création et le maintien d’emplois locaux et non délocalisables (près de 80 000 emplois directs et indirects dans la filière biomasse en 2015).

Nous, politique, ONG et collectif citoyen, réclamons un moratoire afin de redéfinir le projet existant. Nous exigeons que les critères de durabilité de la biomasse, en train d’être définis au niveau européen, soient en mesure d’éviter les mégaprojets. Nous nous unissons aux collectifs citoyens qui demandent la mobilisation des fonds prélevés sur la facture d’électricité de chaque foyer français pour financer cette transition énergétique qui impliquera nécessairement le remplacement de l’unité actuelle par une centrale de nouvelle génération : énergies renouvelables, tri-génération, bio-gaz-chaleur, stockage de l’énergie. Enfin, un dialogue entre les différences instances concernées doit être engagé : l’État, les collectivités territoriales et locales, les entreprises, les associations et collectifs citoyens doivent se réunir afin de définir un contrat local de transition qui promeuve les activités économiques et sociales d’aujourd’hui et de demain tout en répondant au défi climatique qui nous fait face.

Aujourd’hui la technologie rend capable un bouleversement du contexte énergétique. À nous de le réinventer. »

Rendez-vous ce dimanche 5 février à Gardanne
pour la grande marche contre la centrale biomasse,
à partir de 10h, devant la Mairie
Infos pratiques ici