Au Forum mondial de l’eau, des sources de discordes
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Le Forum alternatif mondial de l’eau (FAME) s’ouvrait le 14 mars à Marseille en marge du sommet « officiel » où se retrouvent des représentants d’États et de multinationales de 140 pays. Des ONG ont ainsi voulu se réunir lors de ce sommet « off » pour faire entendre leur voix. Certaines défendent une gouvernance mondiale de l’eau, une ressource souvent au cœur d’enjeux géopolitiques transfrontaliers.

L’eau: un enjeu universel
14.03.2012Par Léa Baron

Insalubrité, sécheresse, inégalité des ressources, non-traitement des eaux usées… Consommer de l’eau saine est encore loin d’être possible pour tous. Et pourtant, le Forum Mondial de l’Eau (FME) cette année s’intitule : « Le temps de solutions ». Et il en reste encore beaucoup à trouver en matière d’accès à l’eau de qualité. Même si l’Organisation des Nations Unies l’a reconnu en 2010 comme un droit, son application se fait attendre.

« Entre 3 et 4 milliards de personnes n’ont pas accès de façon pérenne à l’eau et elles utilisent tous les jours une eau de qualité douteuse, c’est plus de la moitié de la population mondiale », précise Gérard Payen à l’AFP. Il est « conseiller pour l’eau » du secrétaire général de l’ONU et président de l’Aquafed (fédération d’opérateurs privés de services d’eau). Selon les prévisions de l’ONU, la population mondiale devrait atteindre 9 milliards de personnes en 2050. Un augmentation qui va s’accompagner de la raréfaction des ressources hydriques due aux changements climatiques, à l’aggravation des inondations et des sécheresses. Un constat qui préoccupe certaines ONG présentes à Marseille en marge du FME.

Le sommet « off »
En marge du FME plus de 2 000 militants d’Organisations non gouvernementales, d’associations ou de fondations sont rassemblés dans le Forum Alternatif Mondial de l’Eau (FAME). Emmanuel Poilane, directeur de la fondation France Libertés, s’insurge contre le fait que le FME fasse la part belle à des multinationales françaises telles que Suez, Véolia ou Saur. Et les politiques français ne montrent pas leur intérêt pour la problématique mondiale de l’eau. Il regrette que le Premier ministre François Fillon soit parti après son discours d’ouverture qui devait être prononcé par le Président Nicolas Sarkozy. « Ça montre bien qu’en France on n’en a rien à faire de la volonté politique de l’eau. On laisse juste la mainmise à Suez et Veolia », s’insurge-t-il. Pour lui, les multinationales privées notamment françaises veulent accaparer le marché mondial de l’eau.

« Aujourd’hui, c’est le privé qui s’en empare parce qu’il y a un abandon de la politique, explique-t-il. La société se construit autour de l’eau et aujourd’hui on a l’impression que c’est juste une marchandise comme une autre, que les privés s’octroient en fonction de leur puissance. C’est absolument inadmissible ! » Une nuance, pourtant : la privatisation de la gestion de l’eau reste pour lui un fait très franco-Français. Dans le monde, elle est publique à 90%. « Les multinationales investissent rarement leur argent. Elles sont de plus en plus opérateurs et financent rarement », affirme Xavier Leflaive, spécialiste de l’eau à la direction de l’environnement de l’OCDE.

Outre le refus de la mainmise des multinationales sur l’eau, certaines ONG plaident aussi pour la mise en place d’une juridiction internationale de l’eau. Elles se sont d’ailleurs rassemblées les 9 et 10 mars lors d’une rencontre « Eau, planète et peuple »  pour publier une déclaration commune appelant notamment à une « politique mondiale de l’eau » pour « interdire la marchandisation et la financiarisation » de cette ressource. « Nous sommes pour une gouvernance mondiale avec une vraie puissance des États et de la politique publique pour faire en sorte de mettre en œuvre un droit international sur la question de l’eau proprement dite pour être en capacité de faire à la fois les médiations nécessaires et de pouvoir aussi juger les crimes et les conflits qu’il peut y avoir », raconte Emmanuel Poilane de la Fondation France Libertés.

Guerre et paix
La mise en place d’une juridiction internationale et la gouvernance publique de l’eau sont des thèmes également développés par le rapport d’une mission d’information de l’Assemblée Nationale sur la « géopolitique de l’eau » rendu en décembre 2011. Ce rapport aborde les problèmes de conflits transfrontaliers liés à l’exploitation des ressources hydriques. A la fureur du gouvernement israélien, les auteurs y qualifient de « nouvel apartheid au Moyen-Orient » les conséquences du conflit qui sévit entre Israël et Palestine autour du fleuve Jourdain. « Il y a des espaces aujourd’hui où l’on peut parler de guerre de l’eau. Entre Israël et ses voisins, il y a longtemps que ça dure, et c’est réel », reconnaît Emmanuel Poilane. « L’Egypte et ses voisins, les contours de la mer d’Aral avec le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Ce sont des pays où l’on sait qu’il y a des tensions ». En effet, les fleuves traversant plusieurs territoires ou les bassins transfrontaliers deviennent parfois un enjeu conflictuel entre États.

De nombreux fleuves d’Asie prennent leur source au Tadjikistan. En aval, ils traversent l’Ouzbékistan où la culture du coton a beaucoup été développée et demande beaucoup d’eau et d’irrigation. Cette situation pose des problèmes environnementaux majeurs mais aussi de gouvernance. Le Tadjikistan veut utiliser leur ressource en eau pour produire de l’énergie avec des barrages.  « S’ils commencent à mettre en place des barrages de manière non concertée cela va évidemment créer des tensions avec l’Ouzbékistan dont l’agriculture repose beaucoup  sur l’eau qui vient du Tadjikistan »,  Xavier Leflaive de l’OCDE. Dans ces cas là, l’OCDE « aide à alimenter le débat pour mettre en place des relations gagnants-gagnants, répartir de manière plus intelligente les avantages économiques. »

Si ces tensions existent, pourtant, elles aboutissent très rarement en conflits armés, à des « guerres de l’eau ». Une étude menée par l’université de l’Oregon montre ainsi qu’en 64 ans, sur 1831 « interactions », 7 désaccords ont donné lieu à des guerres et 507 à des actions militaires. Le directeur de la fondation France Libertés reste confiant dans le dialogue entre les peuples : « C’est vrai qu’il y a des tensions fortes dont il faut s’occuper, mais j’ai confiance en l’humanité pour qu’il n’y ait pas de guerres de l’eau. »

Certaines situations lui donnent raison. Ainsi, en Europe ou en Amérique latine où le dialogue s’est instauré, des coopérations tri-nationales permettent une meilleure entente entre pays sur le partage des ressources hydriques. Les solutions pour l’eau viendront peut-être aussi du dialogue.

retrouvez cet article sur TV 5 Monde :

http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/6e-Forum-Mondial-de-l-Eau/p-20651-Au-Forum-mondial-de-l-eau-des-sources-de-discordes.htm

 

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