La guerre du feu est déclarée … Oui mais laquelle ?
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À l’heure où le Conseil Régional PACA « déclare la Guerre du Feu » et prévoit une fois de plus de déployer des moyens de lutte colossaux contre les incendies de Forêt alors qu’il s’agirait de réviser le modèle de gestion forestière et de toute évidence de mettre en œuvre des méthodes d’accompagnement des milieux naturels et non de maîtrise de l’espace inflammable,  Jean-Laurent Félizia, Co-porte-parole régional d’EÉLV Paca vous adresse quelques observations faites après plusieurs années de travail et d’analyse paysagère dans le biome méditerranéen :

Les feux de forêt ont toujours existé en paysages méditerranéens et même sur toute la planète depuis que le monde vivant produit une biomasse inflammable.

C’est ainsi que les plantes ont fini par adopter et continuent d’adopter des stratégies d’adaptations habiles et ingénieuses pour survivre à cet élément naturel et ont contribué de fait à une co-évolution vers un état de pyro-paysage.

Plus généralement, tous les paysages méditerranéens, que ce soit le Chaparral de Californie, le bush de l’Ouest australien, le Fynbos Sud-africain, le matorral chilien ou la garrigue et le maquis chez nous, ont été façonnés malgré l’existence du feu au regard des actes des hommes et des civilisations.

Le liège protège les chênes du même nom, les souches de pistachiers, d’arbousiers, d’oliviers contiennent suffisamment de réserves pour assurer leur renouveau en cas de sècheresse ou après le passage du feu.  Mieux même, les cistes, les lavandes ainsi que d’autres plantes de la strate herbacée ont développé des systèmes de développement qui ne pourraient s’exercer sans le passage du feu via les températures ou certaines molécules contenues dans la fumée.

Aussi, et on peut le voir comme un miracle quelques mois après un incendie, sauf si la fréquence de passage du feu est rapprochée, le maquis du massif des Maures redéploie une vigueur extrême et relance le processus de dynamique de végétation.

Pourtant certaines méthodes de débroussaillement pourraient aboutir à des résultats contraires à l’effet escompté voire même accentuer l’inflammabilité des formations végétales.

En préambule de tout débroussaillement, il est utile d’opérer à une lecture du paysage et de la nature de la végétation, de l’épaisseur du sol et de sa richesse en matière organique, des conditions de pente et des conséquences du ravinement par fortes pluies, autant de facteurs qui influent sur la marche à suivre.

Lorsque la végétation est basse, dense et de laquelle se dégage peu de vieux sujets, on peut orienter son débroussaillement en direction d’une limitation des sujets à caractère inflammable comme les genêts épineux (Calycotome spinosa, l’argelas en provençal), les bruyères (Erica arborea ou Erica scoparia), les cistes (Cistus salviaefolius ou Cistus monspeliensis) ou les lavandes « papillon » (Lavandula stoechas) sans pour autant tous les éradiquer car ils sont des réserves potentielles de nourriture pour les pollinisateurs.

Il faut cependant réduire leur nombre, conserver quelques populations qui assureront les réserves de graines pour les nouvelles générations et procéder à cette sélection après leur floraison (mars-avril). Lorsque la végétation se répartit à la fois par des sujets composant équitablement la strate herbacée, la strate arbustive et la strate arborescente, il faut, là aussi, procéder à une sélection en favorisant les sujets sains de maladie parmi les trois strates et les dégager de leur bois morts en les « relevant » jusqu’à deux mètres de hauteur afin de favoriser la pousse des sujets plus bas.

Sur les sujets arborés (conifères et feuillus), une taille douce consistant en la coupe du bois mort peut s’exécuter de manière à remettre en valeur leur silhouette et assurer leur statut de « marqueur du paysage ». On peut préférer les feuillus aux conifères étant donné leur capacité à conforter la production et le renouvellement de la matière organique. Cela ne veut pas dire qu’il faut systématiquement condamner les pins ou les genévriers (cades).

Néanmoins dans la strate médiane, et à choisir entre deux sujets (chêne et pin) trop proches pour un avenir serein, le chêne peut être conservé car plus adapté à une relance végétative après un feu. L’important, dans ce contexte de densité végétale est de penser à assurer une relève de génération aux grands et vieux sujets. En pratique, ces derniers sont souvent privilégiés et sont pourtant en fin de vie. Or c’est par la protection et la taille de formation de sujets de 2-3mètres que le maquis voit son avenir perpétué.

De même, croire que plus on en enlève et plus on se prémunit des risques d’inflammabilité ou de combustibilité est une fausse idée !

Plus on coupe d’arbustes jouant une action concurrente sur les graminées, plus on augmente la capacité de levée de dormance des graines dans le sol. Quand on sait qu’un mètre carré de maquis recèle entre 700.000 et 2 millions de graines prêtes à germer, on comprend pourquoi suite à un débroussaillement « lunaire » une sorte de « pampa » s’érige subitement. Et c’est là que l’on a réuni des conditions parfaites de mise à feu. Il ne reste plus qu’à faucher et voir le coût du débroussaillement au m² augmenter du double de sa valeur initiale. Enfin et c’est essentiel, les déchets de débroussaillement doivent servir au milieu auquel ils appartiennent.

Brûler, favorise la production de gaz à effet de serre tandis que broyer régénère le sol de sa matière organique et peut, sur certains terrains pentus et rocailleux constituer un paillis retenant l’eau et permettant un début de végétalisation et de constitution de milieux.

Les gros résidus peuvent, quant à eux, une fois entassé et disposés dans des zones dégagées procurer à la faune et à la microfaune des aires de nidification. Oiseaux sédentaires, Tortues d’Hermann, lézards des murailles et insectes prédateurs se chargeront d’occuper les lieux pour le bien de leur pérennité.

Par cette analyse technique et biologique du milieu méditerranéen et à assujettir à notre formation végétale qu’est le maquis, je veux mettre en évidence une pertinence d’actions à mener par des techniques de débroussaillement qui ne nuisent pas au milieu par dommages collatéraux.

1 Intervenir trop tôt nuit à la biodiversité car les cycles de floraison ne sont respectés et n’arrivent pas à leur terme,

2 Intervenir trop tôt nuit à la biodiversité et favorise la prédominance des graminées biomasse 10 fois plus inflammable qu’une flore diversifiée,
3 Intervenir trop tôt nuit à la biodiversité prive d’autres acteurs de la chaîne alimentaire dont les pollinisateurs et l’avifaune d’un réservoir qui peu à peu s’amenuise et cause de véritables effondrement dans les équilibres entre végétale et animal,

4 Ratisser les éléments résiduels promis à la décomposition depuis un stade organique vers un stade minéral conduit à l’artificialisation des sols,
5 Ratisser les éléments résiduels promis à la décomposition favorise érosion, ravinement et accentue les risques de retrouver les éléments fins en fond de talweg ou aux abords des zones péri-urbaines,

6 Ratisser les éléments résiduels promis à la décomposition prive les plantes d’une litière qui les fait résister aux sècheresses estivales,

D’autres critères environnementaux sont également à décliner notamment dans la prise en compte de la densité de végétation et des espaces à laisser entre les sujets arborescents… (nous pourrons en discuter de vive voix). J’essaie vainement de faire valoir ces six principes de bases comme une avant-règle aux principes de débroussaillement qui aujourd’hui ne s’appuient uniquement sur des désidératas émis par les pompiers et les services de secours.

Mais à cela, il n’est pas grande raison ni sagesse de voir le réel en l’état de son énergie de vie…. Et feux après feux, une fois l’émotion passée, les mêmes pratiques sont reproduites…
Jusqu’à quand ?

Jean-Laurent Félizia
Co porte-parole d’EÉLV Paca
ecojlf83@free.fr

* : Un biome (du grec βίος, bios, bio = vie), appelé aussi macroécosystème, aire biotique, écozone ou encore écorégion (terme dont le sens est souvent confondu avec biote), est un ensemble d’écosystèmes caractéristique d’une aire biogéographique et nommé à partir de la végétation et des espèces animales qui y prédominent …

On en parle ailleurs :

Région : la guerre contre le feu est déclarée

2 réflexions au sujet de “La guerre du feu est déclarée … Oui mais laquelle ?

  1. Bonjour,
    ayant beaucoup travaillé sur la question de l’impact du feux sur la faune en région méditerranéenne, j’aimerais nuancer le propos suivant « C’est ainsi que les plantes ont fini par adopter et continuent d’adopter des stratégies d’adaptations habiles et ingénieuses pour survivre à cet élément naturel et ont contribué de fait à une co-évolution vers un état de pyro-paysage ». Le feu n’est pas un élément naturel en région méditerrannéenne car 99,9 % des feux sont d’origine humaine. Les feux naturels (de foudre) sont exceptionnels en région méditerranéenne. Le rythme actuel de feu n’est donc en rien naturel et si les plantes s’y sont adaptées, il serait plus juste de dire que les plantes qui subsistent, sont celles qui ont été sélectionnées par le feu. Mais cela ne veut absolument pas dire que ce sont les plantes naturellement présentes à cet endroit: ce sont celles qui restent ! Les études ont pu montrer que les effets du feu peuvent être catastrophiques sur certaines espèces végétales et animales (les espèces non adaptées au feu) : tortue d’hermann, pics, certaines chauves-souris etc. Le débroussaillage bien conduit peu bien entendu réduire l’extension des feux. Malheureusement, étant donné qu’il est pratiqué au printemps, avec des moyens lourds, son impact sur la nature est au moins aussi destructeur que l’incendie lui-même. Le problème est dans l’évaluation des coûts/bénéfices de l’un vis à vis de l’autre !

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