Par Patrick Roger Pour Le Monde. Alerte, dérapage ! La Cour des comptes a rendu public, mardi 27 mai, un rapport très attendu sur les coûts de la filière nucléaire. Réalisé à la demande du président, François Brottes (PS), et du rapporteur, Denis Baupin (EELV), de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, le document tire la sonnette d’alarme. Et les conclusions de la haute juridiction financière ne devraient pas réconcilier les pro- et les antinucléaires.
Outre l’actualisation des données sur le coût de production de l’électricité nucléaire, il était demandé à la Cour d’évaluer le montant des investissements liés à la maintenance et à la rénovation du parc nucléaire, d’une part, et de chiffrer les coûts associés au risque d’accident nucléaire majeur, d’autre part.
Premier constat : le coût de production de l’électricité nucléaire s’envole. Entre 2010 et 2013, la facture a connu une forte hausse, passant de 49,6 euros par mégawattheure (MWh) à 59,8 euros/MWh. C’est une augmentation de 20,6 % en euros courants (+16 % en euros constants, c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation).
Cette flambée des coûts tient à l’évolution des différentes charges, et notamment aux investissements de maintenance et de sécurité. Dans cette période, ils ont plus que doublé, passant de 1,75 milliard d’euros en 2010 à 3,8 milliards en 2013 (+117 %).
Pour juger de cette évolution, la Cour a repris la méthode qu’elle avait utilisée dans son rapport de janvier 2012 pour calculer le « coût courant économique » (CCE), qui permet de définir un coût global moyen sur toute la durée d’exploitation du parc nucléaire. Mais les écologistes contestent cette méthode qui ne permet pas d’apprécier le coût réel. Le CCE ne prend pas en compte l’historique du parc et la manière dont il a été amorti et financé, notamment par les consommateurs.
Toutes les composantes des charges d’exploitation ont augmenté. Selon la Cour des comptes, la raison principale de ce renchérissement réside dans le choix d’EDF de prolonger la durée d’exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans. « Le projet industriel d’EDF visant à réaliser les investissements sur le parc existant pour permettre le prolongement de sa durée de fonctionnement nécessite une augmentation des dépenses d’achats et de logistique ainsi qu’une forte évolution des effectifs, analyse la Cour. Il explique en partie cette forte évolution des coûts d’exploitation, notamment sur les dernières années. » Celle-ci rappelle que le montant des investissements annuels a été multiplié par trois depuis 2008 et par plus de deux depuis 2010.
Dans le plan industriel d’EDF pour la période 2014-2025, la moitié de ces investissements correspond à des engagements liés à la sûreté. Une partie de ces dépenses doit permettre d’appliquer les prescriptions faites par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à la suite des évaluations dites « post Fukushima Daiichi ».
Ces travaux représentent un montant total estimé à 11 milliards d’euros et conditionnent l’allongement de la durée de vie des réacteurs. Ces investissements de sûreté, dans la perspective du prolongement de leur durée d’exploitation, concernent également les réacteurs de « troisième génération », pour un coût d’environ 1,6 milliard d’euros par an sur cette période.
L’autre moitié des investissements correspond à la maintenance « normale » (1 milliard par an) et à la rénovation ou au remplacement des gros composants dont la durée de vie est inférieure à quarante ans (1,3 milliard par an).
Le montant des investissements à prévoir pour prolonger la durée d’exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans s’avère, au final, considérable. « Même si un chiffrage à un tel horizon est par nature un exercice très incertain, relève la Cour, le total des investissements sur la période 2011-2033 atteindrait environ 90 milliards d’euros (valeur 2010), environ 110 milliards d’euros courants. »
S’y greffent « des dépenses futures qui restent caractérisées par quelques fortes incertitudes », selon la Cour. Celles-ci concernent, en particulier, la gestion des combustibles usés (16,3 milliards d’euros fin 2013), les charges de démantèlement (34,4 milliards en 2013, dont la Cour souligne que les révisions de devis « parfois significatives » sur des opérations en cours « font craindre des surcoûts pour les opérations à venir », ainsi que les charges de gestion des déchets (31,8 milliards en 2013). Au total, les charges futures de démantèlement, de gestion des combustibles usés et de gestion des déchets figurent dans les comptes des exploitants, sous forme de provisions, pour un montant de 43,7 milliards d’euros en 2013.
En toute hypothèse, la Cour des comptes prévoit « une évolution à la hausse probable des coûts futurs du parc actuel ». Quant à savoir s’il est opportun de prolonger ou non la durée de vie du parc, la Cour renvoie la balle au politique. « Quelle que soit la méthode utilisée, il est difficile de préciser quel est l’impact de la prolongation par rapport à un maintien de la durée d’exploitation actuelle à quarante ans », estime la Cour.
Dans le cas de la prolongation de la durée d’exploitation jusqu’à cinquante ans, le coût courant économique (CCE) entre 2011 et 2025 serait environ de 62 euros/MWh, selon la Cour des comptes. En cas de décision de non-prolongation, en revanche, impossible de chiffrer le CCE, puisque, dès lors, de nombreux investissements n’auraient plus lieu d’être mais, en parallèle, devrait être calculé le coût de développement des moyens de substitution.
Il y a urgence, conclut le rapport, de « prendre position, dans le cadre de la fixation des orientations de la politique énergétique à moyen terme, sur le prolongement de la durée d’exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans ». La commission d’enquête devrait rendre son rapport, au plus tard, le 10 juin.
Patrick Roger
Journaliste au Monde
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LE MONDE | 27.05.2014 à 10h13 • Mis à jour le 27.05.2014 à 10h15 |
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pour s’éclairer sur le coût réel de l’électricité nucléaire