Les leçons de Décembre 1932
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Par Alain Lipietz, délégué d’Europe Écologie à la crise et la dette.

Rien n’y fait. L’encre du nième sommet de l’Union européenne destiné à « sauver l’euro » n’est pas encore sèche que tombe la quadruple peine : politiques d’austérité, récessions, déficits et dégradation du crédit des États. Et si la première expliquait les trois autres ? Revenons aux leçons de l’histoire.

Nous sommes en 1932. Il y a trois ans, l’effondrement de Wall Street a précipité le monde dans la Grande dépression. Bien sûr, les racines de la crise sont ailleurs : les Années Folles ont vu se creuser des inégalités grosses d’une crise de surproduction. Un New Deal est nécessaire entre capital et travail, mais d’abord il faut apurer le passé.

En 1932, ce passé se cristallise dans la dette allemande. Comme Keynes l’a prédit, l’Allemagne ne peut pas payer, et cette dette déprime l’économie mondiale. Or, au même moment, les gouvernements libéraux, de Hoover aux Etats-Unis à Tardieu-Laval en France, organisent une récession mondiale, sous prétexte d’équilibrer les budgets…

Pour soulager l’Allemagne, le plan Young propose un effacement partiel de sa dette. Mais alors, c’est la France qui ne peut plus payer sa dette aux Etats-Unis… Hoover propose un moratoire général sur les dettes. La France tergiverse. Le moratoire Hoover n’est accepté qu’en décembre 1932. Trop tard : Hitler a gagné les élections.

De même nous savons bien comment sortir de la crise actuelle : en mobilisant tous les efforts pour sauver la planète des périls écologiques qui pèsent sur elle. Rien qu’en France, des centaines de milliers d’emplois sont à la clé, de l’isolation des bâtiment, aux transports collectifs et aux énergies renouvelables, au rétablissement d’une alimentation saine… Pourtant, comme en 1932, trois ans sont perdus en plans d’austérité. La dette du passé bouche l’avenir.

Comme en 1932, une solution s’esquisse, pour soulager les débiteurs sans ruiner les créditeurs : un rééchelonnement et une monétisation partielle de ces dettes. Que la Banque Centrale Européenne rachète aux banques la dette publique, moyennant un certain rabais.

Mais les Européens du Nord, toutes tendances confondues, objectent : « Nous avons fait des efforts de fourmis pour nous désendetter. Pourquoi faudrait-il payer pour les cigales ? ». En particulier, les Allemands, seuls en Europe de l’Ouest à avoir connu l’hyperinflation, ont la terreur de la planche à billets. D’où l’importance de la « Déclaration de Paris » adoptée le 13 novembre au congrès des Verts Européens, après de longues négociations, particulièrement « franches » entre Français et Allemands, tous deux appelés à participer à une coalition qui remplacerait le tandem Merkel/Sarkozy.

La « Déclaration » proclame à la fois la solidarité européenne et sa contrepartie : un contrôle des uns sur les autres. Elle propose une annulation de 65 % de la dette grecque, puis une monétisation des dettes souveraines. Mais, pour répondre à l’inquiétude des Allemands, elle prévoit le maintien de la règle de la « double signature ». C’est au Fonds Européen de Solidarité Financière d’assurer les fins de mois des États impécunieux, de même, c’est à la Banque Européenne d’Investissements de prêter aux collectivités les fonds pour la reconversion écologique, et c’est eux, le FESF et la BEI, qui pourront escompter leurs prêts auprès de la Banque Centrale….

Il faudra aller dans le détail, préciser les limites à l’irresponsabilité des gouvernements qui offrent aux riches des cadeaux fiscaux en période e vaches grasses et font payer les pauvres les années de vaches maigres, coordonner la chasse à l’évasion fiscale. Mais aussi : garantir contre l’inflation dont les principales victimes seraient les revenus les moins bien indexés, ceux des salariés, pensionnés et précaires. Pour que les banques, ainsi remboursées en Euros par la BCE, n’alimentent ni l’inflation ni de nouvelles bulles, on pourrait cibler cette création monétaire en la « fléchant » vers l’investissement vert : la Banque centrale devrait imposer un dépôt obligatoire de ces nouveaux euros à la Banque Européenne d’Investissements.

L’autre condition de ce « fédéralisme monétaire » est de mieux en mieux acceptée, en particulier à droite : la discipline, que les Etats nationaux ne parviennent plus à s’imposer, c’est à l’Europe d’y veiller. La Déclaration de Paris précise que cette discipline ne s’applique pas tant aux salaires et services publics… qu’aux profits injustifiables et aux dépenses publiques inutiles. Citons en une : la couverture implicite, hors bilan, du risque d’accident nucléaire en France par le budget public, ne sera pas éternellement tolérée par nos voisins qui, eux, font l’effort de sortir du nucléaire…

Pour éviter les désastres des années 30, nous sommes invités à être enfin européens. C’est une chance, mais elle porte aussi ses exigences.

Par Alain Lipietz, délégué d’Europe Écologie à la crise et la dette.

Article publié sur le site de  libération