“Je suis une ‘atomisée’ rescapée du bombardement d’Hiroshima. J’habite à Tôkyô. J’ai 80 ans. Le 11 mars 2011, lorsqu’a eu lieu le Grand Tremblement de Terre du Nord-Est du Japon suivi de la catastrophe nucléaire de Fukushima, j’étais en train d’écrire un livre sur le bombardement atomique soixante-six ans auparavant et sur la vie de la population civile d’Hiroshima avant et après le bombardement. J’avais déjà rédigé la majeure partie de cet ouvrage, mais accablée par la douleur que provoqua en moi l’accident nucléaire de la centrale nucléaire de Fukushima, j’ai voulu finir la rédaction du dernier chapitre sur le lieu même du bombardement atomique, à Hiroshi ma, ma ville natale.
Tard le soir, en foulant le sol d’Hiroshima, je sentais un lourd fardeau peser sur mes épaules et, pendant un temps, je ne pouvais plus mettre un pied devant l’autre. A chaque fois que je revenais à Hiroshima, j’avais pour habitude de commencer par me rendre à pied au mémorial pour les morts situé dans le Parc de la Paix et je discutais avec les membres de ma famille de ma famille qui se trouvent là, ainsi qu’avec mes amis, de simples connaissances et avec tous ceux qui sont morts ce jour-là dans une horreur qui dépasse l’entendement. Mais cette fois-ci, plutôt que de prier, je leur ai demandé : Donnez-moi encore pour un temps la santé, Donnez-moi de la force, Dites-moi ce que je peux faire, guidez-moi s’il vous plaît.
Ce jour-là, j’ai été atomisée à 1,5 kilomètre de l’hypocentre de la bombe. J’ai été très gravement blessée et j’ai frolé la mort mais j’ai pu survivre grâce à l’aide de trois personnes qui m’ont sauvé la vie. Lorsque nous vivions dans les baraques, je souffrais de maladies fulgurantes dues à la radioactivité telles, par exemple, que de fortes fièvres, des saignements de nez et des gencives, de terribles diarrhées et vomissements, des taches pourpres sur tout le corps ou la perte des cheveux. Pourtant, là encore miraculeusement j’ai pu survivre. Cependant par la suite et jusqu’à aujourd’hui, j’ai souffert de nombreuses maladies et il n’est pas un seul jour où j’ai été en bonne santé.
Parmi toutes les maladies, un des maux les plus pénibles est le « chancellement des atomisés ». Cette maladie se manifeste par un état d’épuisement difficilement supportable. Plusieurs fois j’ai imploré le médecin « Docteur, ne serait-ce qu’une journée ou même une heure, faites-moi me sentir fraiche et légère. » Mais cela ne s’est jamais réalisé. En allant me coucher le soir, je priais Dieux, « Faites que je ne me réveille pas demain matin. »
Toutes ces maladies étaient dues à l’irradiation interne. Toutes les substances contaminées par la radioactivité que nous avions ingérées, notamment l’eau que nous avions bue, la nourriture ou l’air, ces substances continuent sans cesse leur réqction à l’intérieur même de l’organisme et bouleversent les gènes. Cela se poursuit jusqu’à la mort. Finalement dernièrement on en parle dans les médias, le césium qui détruit les fibres musculaires serait à l’origine du « chancellement des atomisés », et c’est ici, à Hiroshima, que je l’ai appris tout dernièrement. Ceux qui ce jour là étaient sous la pluie noire, ceux qui sont entrés dans la ville pour venir secourir les victimes ou chercher des proches, mais pas seulement les victimes de la bombe, tous les atomisés victimes des essais nucléaires, des accidents des centrales, tous ceux-là sont victimes d’irradiations internes.
L’irradiation interne a toujours été sciemment dissimulée. Maintenant, du fait de l’accident de la centrale de Fukushima, enfin, on voit apparaître le terme « irradiation interne », mais on ne voit quasiment aucune explication précise de ce dont il s’agit. Sans doute parce qu’alors il ne serait plus possible de continuer à développer l’exploitation des centrales nucléaires.
« L’énergie nucléaire est une énergie propre », « l’énergie révée » entendait-on à une époque mais après l’accident des centrales de Tchernobyl et celle de Three Mile Island, on l’entendait un peu moins. Cependant, ces dernières années, beaucoup de pays dans le monde se sont remis à la course à la construction de centrales nucléaires. On a appelé cela « la Renaissance des centrales nucléaires ». Voyant cette évolution, j’alertais sur le fait qu’inévitablement, dans un futur pas bien lointain, il y aurait quelque part sur terre un accident dans une centrale nucléaire. Cela se produit actuellement dans mon pays et qui plus est, chaque seconde, il y a des fuites ininterrompues de substances radioactives très concentrées. Il n’y a pas de moyen de stopper cela de façon sure et l’on ne peut prévoir quand cette situation critique prendra fin. Au Japon, pays de petite superficie et situé en zone sismique, il y a plus de 50 réacteurs nucléaires. De plus, ils sont regroupés et établis sur des plaques produisant de nombreux tremblements de terre, régions à faible population. Par ailleurs, à Fukushima, dans la centrale numéro 1 de Fukushima, il y a six réacteurs formant une chaîne s’enfonçant dans la spirale du danger. En outre, à la centrale numéro 2 de Fukushima il y a aussi quatre réacteurs qui ont subi des dommages. Après le grand tremblement de terre du Nord-Est, le 15 mars, il y a eu un grand tremblement de terre à Shizuoka. On dit que, dans première moitié de ce siècle, se produira inévitablement Le Grand Tremblement de Terre du Tôkai et de la Baie de Suruga. C’est là que se trouve l’une des centrales majeures qu’est celle de Hamaoka. Sur la zone très sismique de la côte de la Mer du Japon, les centrales nucléaires sont nombreuses, en particulier dans la préfecture du Fukui que l’on appelle « le Ginza des centrales nucléaires » (en référence au quartier très animé et dense de Ginza à Tôkyô).
À la population du Japon, Est-ce une bonne chose que le Japon, victime des bombes atomiques soit devenu le pays coupable d’une telle émission de radioactivité ? Il n’y a plus de temps à perdre. Agissons pour que soient arrêtées les centrales actuellement en activité. Aux populations du monde entier, je vous en pris, apportez-nous votre soutien. Demandons haut et fort que sur la Terre, naturellement il n’y ait plus de construction de centrales nucléaires, mais aussi que l’on stoppe toutes les centrales en activité et que soient reclassés les réacteurs nucléaires.
En tant qu’atomisée de la bombe, j’ai lutté contre le nucléaire au Japon et à l’étranger. Cela parce qu’il y a la menace que la vie sur Terre soit détruite, non seulement par les bombes atomiques ou les bombes à hydrogène, mais aussi par les centrales nucléaires. Même lors de leur fonctionnement ordinaire, les centrales nucléaires rejettent de petites quantités de particules nucléaires qui contaminent la mer, l’air et le sol. La dangerosité de ces rejets de particules nucléaires en faibles quantités est occultée.
Il n’y a pas que l’être humain qui ait reçu la vie sur Terre. N’est-il pas indécent que l’être humain, pour son propre bénéfice, sacrifie les autres espèces vivantes ? Ouvrir la voie vers une vie en harmonie avec la nature ne devrait-il pas être la sagesse humaine ? Par ailleurs, nous qui vivons entre le 20ème et le 21ème siècle, nous ne nous sommes vus confier qu’un court laps de temps dans la longue histoire de l’humanité. Est-ce que nous ne sommes pas simplement supposés passer le relai entre nos aïeux et les générations à venir ?
Nous, les atomisés des bombardements ainsi que les atomisés des accidents des centrales nucléaires et des essais nucléaires, avons souffert toute notre vie ; de même, les atomisés de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima souffriront désormais sans cesse. On voit tous les jours dans les médias les gens endurer des conditions de vie difficiles dans les camps de réfugiés. Et en voyant des nourrissons innocents et des enfants ne pas perdre leur vitalité même dans de telles conditions, j’ai le coeur meurtris mais j’y vois en même temps un espoir. La radioactivité est particulièrement nocive pour les enfants et empêche leur croissance. La radioactivité ne connait pas les frontières. Pour secourir les enfants qui sont l’avenir, Tous ensemble, dans le monde entier,
Donnons-nous la main et levons nous contre le nucléaire ! ”
29 mars 2011
HASHIZUME Bun,
survivante d’Hiroshima