Inévitables conversions
Malgré un accès à l’eau facilité par de grands travaux déjà anciens, le modèle agricole commence à être mis à mal par le réchauffement climatique qui contribue à une raréfaction de la ressource. Comment le faire évoluer ? Comment garder l’eau dans les sols ?
Contexte
Production agricole et eau en Provence-Alpes-Côte d’Azur
Le secteur agricole en PACA est représentatif d’une agriculture de type méditerranéen avec la prédominance de la viticulture, 34% des exploitations, les cultures fruitières permanentes, 16% des exploitations, le maraîchage et l’horticulture pour 15% des exploitations. La part de l’élevage ne représente que 11% des exploitations avec une production principalement ovine et caprine.
L’essentiel des exploitations est localisé dans le Vaucluse, 27% des exploitations, le Var, 24% et les Bouches-du-Rhône, 22%. L’élevage se concentre essentiellement sur les territoires alpins.
L’une des spécifiés de l’agriculture en PACA, par rapport aux agricultures méditerranéennes, est l’existence d’un accès facilité à l’eau et cela depuis longtemps. En effet, les infrastructures hydrauliques y sont bien développées : canaux, aqueducs, exploitation des eaux souterraines… La consommation d’eau du secteur agricole représente de l’ordre 2,3 milliards m3/an en PACA soit 60% des usages de l’eau.
Ce modèle commence néanmoins à être mis à mal par le réchauffement climatique qui contribue à une raréfaction de la ressource. qui laisse entrapercevoir des conflits potentiels autour de l’utilisation de la ressource.
Les surfaces irriguées en PACA
Les Départements des Bouches du Rhône et du Vaucluse ont respective- ment 60 653 ha et 23 868 ha irrigués soit 67% des terres irriguées en PACA en 2020. Ils ont un potentiel d’irrigations additionnelles de 55 780 ha pour l’un et 12 058 ha pour l’autre.
La carte des surfaces irrigables met également en lumière que c’est autour du système Durance/ Verdon que se concentre l’essentiel des parcelles irriguées.
Il est donc urgent de soutenir les mesures d’adaptation et d’atténuation de l’impact du changement climatique sur l’agriculture dans ces 2 départements car ils pourront servir de laboratoire d’expérimentation pour le reste de la région.
Il faut souligner la particularité du système de production camarguais sur laquelle nous reviendrons.
Un ouvrage hydraulique dès le XIX° siècle : le canal de Provence
Marseille a longtemps souffert d’un problème d’approvisionnement en eau potable car la ville est coincée entre la mer Méditerranée et différents massifs. L’Huveaune, fleuve côtier qui la traverse, a un débit faible et irrégulier et ne fournit pas suffisamment d’eau à la population.
En 1934, Maximin-Dominique Consolat, maire de Marseille fait voter une délibération pour acheminer l’eau de la rivière Durance, située à 40 kilomètres à vol d’oiseau, en construisant un canal. Débuté en 1839, il est achevé en 1854 après 15 ans de travaux difficiles. Il mesure 80 kilomètres de long et possède de nombreux ouvrages d’art dont 18 ponts.
Le maillage hydraulique de la distribution d’eau agricole
La mise à disposition de l’eau auprès des agriculteurs repose donc principalement sur l’existence d’un système de distribution et d’acheminement de l’eau des territoires de montagne vers les zones de plaine. A titre d’exemple, l’ASA du canal de Carpentras est la plus importante de France. Elle compte près de 17 000 adhérents et dessert en eau brute un territoire de plus de 13 000 hectares qui s’étend sur 42 communes du département de Vaucluse. Le chevelu des canaux à ciel ouvert qui constitue le réseau gravitaire parcourt plus de 400 km. Depuis les débuts de la mise sous pression du réseau dans les années 70, ce sont plus de 1 100 km de canalisations enterrées qui ont été posées.
Le Canal de Provence a été repris et amplifié un siècle après, entre 1964 et 1986 afin de préserver de la sécheresse l’ensemble du territoire. Il représente actuellement un système d’ouvrages longs de 271 km, dont 140 en souterrain avec 82 barrages et réservoirs. Il dessert 111 communes avec près de 80 000 ha de surfaces irriguées.
Cette infrastructure est aujourd’hui largement impactée par les aléas du changement climatique. On pourra évoquer la baisse de niveau des réservoirs liée à la réduction de la pluviométrie et de l’enneigement ou les pertes dans le système d’acheminement par évaporation et infiltration. En tout état de cause, maintenir ce système et garantir sa résilience face au changement climatique va induire des investissements conséquents.
Les cas particuliers de la Crau et de la Camargue
Il s’agit de deux zones de productions agricoles ayant chacune des caractéristiques spécifiques : la Crau et son aquifère côtier situé dans l’ancien delta de la Durance, la Camargue qui s’étend entre les deux bras du Rhône.
L’irrigation en Crau, initialement une zone sèche, a commencé dès le XVI° siècle par la construction du Canal de Craponne et toute la structure d’irrigation gravitaire qui s’est mise progressivement en place. Elle a permis le développement de la production du foin dit de Crau initialement à destination de la production ovine et bovine locale ; aujourd’hui largement réputé et exporté.
Les années 1960/1970 ont vu le développement d’une activité maraîchère et arboricole. L’irrigation est principalement gravitaire mais l’on décompte également un certain nombre de forages qui puisent directement dans l’aquifère de la Crau. C’est cette nappe qui fait la spécificité de la Crau.
L’irrigation par « submersion », souvent accusée de gaspiller de l’eau, est un élément principal de la recharge de cette réserve estimée à près de 550 millions de m3. Cette nappe alimente toutes les communes avoisinantes et la zone industrielle et portuaire de Fos. Par ailleurs, une baisse du niveau piézométrique de cette nappe pourrait conduire à des intrusions salines. L’irrigation par « submersion » en Crau est donc un élément central de la politique de conservation de l’aquifère.
La Camargue, cette zone humide du delta du Rhône, a été modelée depuis plus d’un siècle par l’intervention humaine afin de permettre sa mise en valeur économique et la sécurisation les personnes. Ces digues et canaux ont largement favorisé le développement de la riziculture. Cette culture couvrait dans les années soixante près de 30 000 ha mais ne représente actuellement que 13 000 ha. Elle est très gourmande en eau, 30 000 à 50 000 m3/ha mais une grande partie de cette eau est rendue au milieu naturel et contribue ainsi à la désalinisation des sols et à l’équilibre des écosystèmes.
La baisse de cette activité et la réduction du débit du Rhône sous l’effet du changement climatique pourrait donc mettre à mal ce fragile équilibre. La salinisation des sols pourrait même être favorisée par les intrusions marines : l’altitude moyenne en Camargue n’étant que de 11m, variant de -4m à 386m.
Nos propositions
Les limites d’un système de gestion traditionnel de l’eau
Les infrastructures hydrauliques en PACA, en particulier autour du système Durance/Verdon, ont permis à la région de bénéficier d’une ressource en eau relativement abondante par rapport aux autres régions du pourtour méditerranéen. Mais ce système montre ses limites face au changement climatique. Il est donc nécessaire de :
- Veiller à l’efficience du système hydraulique Durance/Verdon afin de mieux en contrôler les pertes en eau et d’assurer son bon fonctionnement ;
- Garantir une répartition équitable au sein d’un bassin versant de l’amont à l’aval ;
- Être pro-actif dans les discussions autour du partage de l’eau. Elles devraient s’engager rapidement dans le système Durance/Verdon de manière à gérer la rareté potentielle : prix de l’eau, marché de droit… ;
- Une Commission Locale de l’eau (CLE) élargie aux canaux et à la SCP permettrait d’arbitrer les usages ;
- Penser les moyens de ralentir le cycle de l’eau, son stockage dans les sols, recréer des zones humides, penser les paysages de demain, favorables à la biodiversité, à la qualité des sols et à l’agriculture. Soutenir les actions pilotes d’hydrographie régénérative.
Vers une adaptation des modes de production agricole
Un accès facile et à faible coût à l’eau n’a pas contribué, dans le passé, à la mise en place d’une certaine sobriété dans son usage à des fins agricoles. Il est donc nécessaire de
- Privilégier les espèces végétales plus sobres en eau en s’appuyant sur les recherches menées par l’Institut national de recherche agricole (INRA) d’Avignon sur la phénologie des plantes.
- Enclencher une mutation vers des nouvelles productions initialement localisées plus au Sud comme les amandiers, l’olive et les agrumes, en s’inspirant de celles produites dans le sud de l’Espagne ou en Tunisie,
- L’irrigation doit favoriser l’agriculture la plus diversifiée, les cultures nourricières et les caractéristiques agro-pédologiques les plus favorables. Il est nécessaire, en particulier, d’éviter les protéagineux pour les carburants et de viser le blé dur, les fruits et légumes, l’élevage.
- Éviter des irrigations peu productives comme celle de la vigne,
- Privilégier une irrigation au goutte-à-goutte par rapport à une irrigation gravitaire gourmande en eau et qui, par inondation, lessive les sols par ruissellement. On pourra s’inspirer de l’exemple d’Israël. Cependant le goutte-à-goutte a des désavantages : la modification des paysages, la biodiversité a conquis les canaux. Les canaux cuvelés par certaines ASA s’accompagnent d’une disparition des trames vertes et bleues et la baisse du transfert d’eau vers la nappe, 30 % de l’eau gravitaire va dans les plantes, le reste va dans les nappes et cette eau filtrée est souvent de qualité ; la modification du gravitaire doit donc être réfléchie, d’autant qu’il est possible de faire des économies d’eau avec le gravitaire également ; l’utilisation de sondes permet de 30 à 40 % d’économie.
Les PSE de Menelik
Mis en place à titre expérimental, les paiements pour services environnementaux rémunèrent les bonnes pratiques. Dans les Bouches-du-Rhône l’EPAGE (établissement public d’aménagement et de gestion des eaux) Menelik a choisi deux thèmes : la réduction des pollutions diffuses aux pesticides et la reconquête de la ripisylve. 33 exploitants se sont engagés. Le montant moyen de l’aide est de 5 000€/an. 1 500 mètres de haies et 4 500 mètres de ripisylves devraient être plantés en cinq ans
Vers une utilisation plus raisonnée de l’eau agricole
L’agriculture en PACA reste assez conventionnelle. Il s’agit souvent d’une production intensive et spécialisée qui privilégie l’usage de pesticides et d’herbicides, même si PACA est au premier rang des régions françaises dans le développement de l’agriculture biologique. Pour continuer à diminuer l’usage des pesticides et herbicides, l’altération des sols et de leur capacité à retenir et à maintenir l’eau, il est nécessaire de :
- Privilégier une agriculture de conservation combinant généralement le labour réduit ou le non-labour, un apport régulier de matière organique (résidus des cultures, paillage, compost, engrais verts, etc.) et une couverture permanente du sol (cultures intermédiaires, cultures de couverts),
- Soutenir l’agroforesterie associant les arbres et les cultures dans un même « champ » afin que les deux systèmes bénéficient d’une meilleure répartition des ressources, eau, lumière, nutriments, dans l’espace et dans le temps,
- Développer une agri-biodiversité fonctionnelle permettant à l’agroécosystème de bénéficier de services rendus par cette biodiversité, et rendre la production moins dépendante des intrants conventionnels et de la ressource en eau.
- Finaliser les expérimentations des PSE (paiements pour services environnementaux), en faire un vrai outil de réorientation agricole, pérenniser les financements
- Renforcer le développement de l’agriculture biologique
Sources et ressources
Les usages de l’eau agricole
Si l’on veut avoir une vision plus fine de l’utilisation de l’eau agricole en PACA, le tableau suivant décrit les surfaces irriguées par type d’usage, par l’origine de l’eau et par les modes d’irrigation
Source Agreste mémento PACA 2023 : COP : céréales et oléo protéagineux, Ppam : plantes à parfum, aromatiques et médicinales
En PACA, 54% des cultures irriguées sont destinées aux cultures fourragères et au céréales/oléagineux. Mais cela cache des disparités entre départements. En effet, dans les zones plus montagneuses, ces deux usages représentent respectivement 65% et 81% des surfaces irriguées. Cela est fortement lié à l’activité d’élevage qui y est abondante.
Plus étonnamment, les Bouches-du Rhône consacrent 64% des surfaces irriguées à ces deux destinations principales qui peut s’expliquer par la présence d’une activité rizicole en Camargue (51 000t en 2022), de la culture oléagineux et protéagineux et du foin de Crau.
Dans le Var et dans le Vaucluse, l’irrigation est plutôt à destination des fruits & légumes et de la vigne, 59% et 80% des surfaces irriguées respectivement pour ces départements. La vigne y représente respectivement 41% et 38% des surfaces irriguées. Enfin dans les Alpes Maritimes, l’irrigation est principalement destinée aux fruits & légumes (45% des surfaces), aux cultures fourragères (33% des surfaces)
Mais ces 5 départements partagent un point commun : en moyenne de l’ordre de 72% des surfaces irriguées le sont par l’existence de point d’accès à des réseaux collectifs. Cela met donc à nouveau en avant la spécificité de la région PACA : sa capacité de disposer d’un réseau d’acheminement de l’eau du « château alpin » vers l’ensemble de la région.
La compétence de la région
Dans le cadre de la loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe), la région Sud a intégré une nouvelle mission d’animation et de concertation dans le domaine de la gestion et de la protection des ressources en eau et des milieux aquatiques. Concernant la modernisation des réseaux d’irrigation et les économies d’eau en agriculture, 5 actions ont été identifiées dans le cadre de son plan Or Bleue :
- Soutenir financièrement les projets de modernisation des réseaux d’irrigation ;
- Mobiliser des outils adossés au FEADER : contrat de transition, partenariat européen pour l’innovation ;
- Inciter l’ensemble des territoires à mobiliser le FEADER pour la modernisation de leurs réseaux ;
- Impliquer collectivement les partenaires institutionnels sur l’ingénierie des Associations syndicales autorisées (ASA) et le renforcement de leur capacité de maîtrise d’ouvrage ;
- Étudier les possibilités de renforcement des investissements de la Société du canal de Provence par un allongement de la durée de la concession.