[S·EAU·S 9/16] L’eau stockée dans la neige et les glaciers
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L’effacement de nos paysages blancs

« C’est un bonhomme de neige
avec une pipe en bois,
un grand bonhomme de neige
poursuivi par le froid »

Jacques Prévert

Le recul des glaciers – notre château d’eau – et de l’enneigement ont un impact sur l’économie montagnarde qu’il faut réinventer plutôt que de poursuivre un modèle obsolète qui détruit la nature. 

Contexte

Recul des glaciers

Dans les Alpes du Sud, le bilan de masse du glacier Blanc, situé dans les Écrins et suivi scientifiquement depuis 1999, montre que sur la période 1999-2016, il a perdu 13 m de glace en moyenne sur l’ensemble de sa surface (4,8 km² en 2014). Cette perte est plus importante à basse altitude.

Durant la période d’extension maximale du Petit Âge glaciaire (vers 1850), la superficie des glaciers dans les Écrins atteignait 170 km². En 2015, date du dernier inventaire, elle couvrait 59 km². La perte de surface des glaciers dans le massif des Écrins, comme dans tous les massifs alpins, tend à s’accélérer depuis les années 2000.

Selon une étude publiée en 2019 par des chercheurs suisses, si rien n’est fait pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, les glaciers des Alpes risquent de disparaître à plus de 90% d’ici la fin du XXIe siècle.

L’importance des glaciers – réservoir d’eau et ciment des parois rocheuses

Un glacier est un réservoir. En bonne santé il grossit en hiver et fond en été aux périodes où l’on a le plus besoin d’eau. En effet, au printemps et en été, le ruissellement de la fonte des glaciers alpins est une des sources les plus importantes d’alimentation des cours d’eau alpins. 

Le phénomène de recul est donc inquiétant pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, car 15,5 milliards de m3 d’eau douce sont stockés dans les glaciers du bassin Rhône-Méditerranée selon l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse.

De plus, le permafrost permet aux roches de tenir ensemble dans les glaciers rocheux, éboulis et moraines. Le dégel des parois rocheuses lors des épisodes de canicule, favorise alors le déclenchement des éboulements, en provoquant la fonte de la glace qui jouait le rôle de ciment. Parmi les glaciers rocheux méridionaux, 22 présentent des signes de déstabilisation : crevasses, fractures, arrachement et ravinement

En 2023, d’importants éboulements ont été constatés dans le massif des Écrins rendant certains itinéraires dangereux. À Vallouise-Pelvoux, l’itinéraire de montée vers les refuges du Sélé et du Pelvoux, était très fortement déconseillé. Plusieurs cordées ont été évacuées ; une guide de haute montagne âgée de 30 ans a été victime de chutes de pierres sur une course classique des Écrins. Le massif du Queyras est également concerné par les éboulements, certains se sont produits dans le secteur de Rochebrune. 

Conséquences sur le Rhône

Le Rhône prend sa source au glacier de la Furka, en Suisse, massif surnommé le « château d’eau » de l’Europe (le Rhin en est également issu). Jusqu’à Martigny, le Rhône est alimenté par de grands glaciers. 

À son embouchure, son débit moyen est de 1 700 m³/s ce qui en fait le fleuve français métropolitain le plus puissant.

Sur le bassin du Rhône, les effets du changement climatique se font déjà sentir. Les précipitations neigeuses sont plus faibles. Les sols s’assèchent, ce qui réduit leur possible contribution au soutien des débits du fleuve.

Les débits d’étiage moyens du Rhône ont déjà diminué sur les 60 dernières années de -7 % à -13 % de l’amont (Pougny) à l’aval (Beaucaire) entre 1960 et 2020. À l’horizon 2055, les effets vont s’aggraver avec des périodes de bas débits plus longues et plus marquées. Les projections hydrologiques réalisées par l’agence de l’eau, estiment par exemple que les débits d’étiage à l’aval (Beaucaire) pourraient baisser encore de l’ordre de 20 % en moyenne dans les 30 prochaines années.

La fonte des glaciers apportera encore une contribution aux débits d’étiage, mais elle a déjà dépassé son pic et ira décroissant. D’ici la fin du XXIe siècle, les Alpes françaises pourraient être en grande partie libres de glace, avec des glaciers ne subsistant que dans les massifs du Mont-Blanc et du Pelvoux. Le manteau neigeux contribuant aux écoulements printaniers et estivaux sera très réduit.

Or l’eau maîtrisée et abondante du Rhône a développé l’irrigation, soit directement à partir du fleuve avec 40 000 ha couverts partiellement ou totalement, soit indirectement, par le canal du Bas-Rhône (200 000 ha).

Recul de l’enneigement

On note également une diminution importante du manteau neigeux sur les massifs montagneux, particulièrement en dessous de 1500/1800 m, et une fonte des neiges plus précoce. Or, une partie de l’eau disponible en période estivale est directement issue de la fonte de la neige restant au printemps. En effet, l’alimentation Durance-Verdon était niveale (provenant de la neige), elle devient pluviale et donc l’eau d’hiver part directement à la mer, alors que la neige permettait de lisser la ressource sur l’été.

L’équivalent en eau du manteau neigeux (ONERC[1]-Figure 8) montre la tendance nettement à la baisse, observée ces soixante dernières années.

[1]    Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique – ONERC

L’impact sur l’économie montagnarde

Autour de 1500-2000 m, il y aura un déneigement précoce et une sécheresse estivale. Cela expose les jeunes plantes au gel, tandis que la sécheresse et la chaleur brûlent les prairies et assèchent les sols au cœur de l’été avec le tarissement des sources et l’assèchement des zones humides. 

Durant l’été 2022, les bergers ont été contraints de monter des citernes d’eau sur certains alpages, de réduire la taille des troupeaux, de redescendre vers les vallées de façon anticipée, de puiser dans les réserves de fourrage et d’en acheter au prix fort pour passer l’hiver… 

Au niveau touristique, notons par exemple qu’en 2020, après 85 ans d’existence, la fermeture définitive de la station de Céüze 2000 a été actée. Elle n’est pas la seule. Sans recours à la neige de culture, 53% des stations feraient face à un risque « très élevé » de manque de neige si la hausse moyenne des températures était de 2°C. Avec une hausse de 4°C, c’est 98 % soit quasi la totalité des stations de ski (98%) qui fermeraient. 

Pour les canons à neige, 1 000 à 4 000 m3 d’eau sont nécessaires pour l’enneigement de base (env. 30 cm de hauteur de neige) d’une piste d’un hectare. Cela nécessite des retenues d’eau creusées dans la montagne, alors que, pour que les canons fonctionnent, il doit faire froid, et si la température est supérieure à – 3 °C il est très difficile de fabriquer la neige. (voir plus de détails dans l’annexe ad ’hoc ci-après)

Nos propositions

  • Limiter au maximum le changement climatique en réduisant le recours aux énergies fossiles ;
  • Face à l’accélération du réchauffement, sortir des solutions techniques qui ont jadis permis le développement de la Provence et des Alpes, revoir les usages et retrouver une « culture de la sécheresse » qui existait par le passé ;
  • Arrêter définitivement les aménagements sur glaciers (comme la construction d’un téléphérique sur la Girose, dans les Hautes-Alpes) ;
  • Trouver de nouveaux modèles touristiques. Sortir des anciens comme le projet de Risoul de raser 10 hectares de forêts de mélèze, riches en biodiversité, pour construire 2.000 lits touristiques, en s’appuyant sur un projet datant de 2014 ;
  • Repenser notre relation à la nature, en laissant une partie des écosystèmes intacts. Accepter de ne pas tout artificialiser en laissant en libre évolution les écosystèmes post-glaciaires qui se créent avec la fonte des glaciers et que les chercheurs trouvent particulièrement intéressants.

Sources & ressources

http://www.grec-sud.fr/article-cahier/articles-du-cahier-montagne/le-climat-des-alpes-du-sud/tableau-1-evolution-du-manteau-neigeux-en-dans-le-mercantour-et-le-champsaur-en-fonction-de-laltitude-et-de-laugmentation-de-la-temperature-moyenne-mondiale/

http://www.grec-sud.fr/publications/montagne/

http://www.grec-sud.fr/wp-content/uploads/2018/09/GREC_PACA_Cahier_Ressource_en_eau_ref.pdf

http://www.grec-sud.fr/article-cahier/articles-du-cahier-montagne/le-climat-des-alpes-du-sud/le-permafrost-et-les-glaciers-rocheux-des-alpes-du-sud/

http://www.grec-sud.fr/article-cahier/articles-du-cahier-eau/les-eaux-de·surface-leur-sensibilite-vis-a-vis-du-climat-et-de·ses-changements/linfluence-du-changement-climatique·sur-levolution-du-manteau-neigeux-dans-les-alpes-du-sud/

https://www.ledauphine.com/environnement/2023/08/22/eboulements-en-montagne-des-itineraires-a-eviter-a-vallouise-pelvoux

https://www.envie-de-queyras.com/news/eboulement-combe-guil-novembre-201

https://www.eaurmc.fr/upload/docs/application/pdf/2023-03/aermc_plaquette_rhoene_reugime_hydrologique_v9_bigbang_web.pdf

https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/144000175.pdf

https://www.ecologie.gouv.fr/impacts-du-changement-climatique-montagne-et-glaciers

https://www.montagnes-magazine.com/actus-bernard-francou-montagne-rechauffement-climatique-manifeste-ciel-ouvert

Station de ski fantôme : https://stationsfantomes.wordpress.com/2022/03/25/ceuze-2000/