La pénétration salée des terres
« C’est un marais dont l’eau dormante
Théophile Gautier
Croupit, couverte d’une mante
Par les nénuphars et les joncs :
Chaque bruit sous leurs nappes glauques
Fait au chœur des grenouilles rauques »
Depuis quelques temps ce phénomène naturel fait parler de lui en raison des dommages qu’il cause ou risque de causer à notre littoral et à nos côtes. En raison du faible niveau des marées en Méditerranée, les infrastructures portuaires, industrielles, routières, aéroportuaires, aménagements ou habitations sont souvent construits trop près du niveau marin. Comment préparer l’avenir, revoir nos politiques urbaines pour éviter la mise en danger des populations et protéger les zones humides qui sont appelées à s’étendre notamment au niveau des estuaires ?
Contexte
Les dernières études de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), du Groupe Régional d’Experts Climat (GREC SUD) et d’autres, font état de situations préoccupantes dues aux attaques de mer de plus en plus fréquentes et à leurs effets en termes d’érosion et de débordements plus ou moins graves. A tel point que des communes remettent en question leurs aménagements côtiers, routes, maisons, constructions, plages et modifient leurs plans locaux d’urbanisme (PLU).
Les submersions marines sont des envahissements des terrains proches des bords de mer. Il y a trois modes de submersion marine : par débordement, par franchissements de paquets de mer liés aux vagues ou par rupture du système de protection : défaillance d’un ouvrage de protection ou formation de brèches dans le cordon littoral.
La Méditerranée, mer intranquille
Elle est fermée, profonde, chaude et aux influences contraires au niveau des vents. Elle est donc houleuse et capricieuse parfois. Ce qui explique sa forte influence sur les pays qui la bordent. Pour ceux qui la traversent elle est souvent tempétueuse.
Les deux plaques tectoniques qui s’y affrontent et qui nous concernent en France sont la plaque Européenne et la plaque Africaine. La mer est donc sujette aux tsunamis et les pouvoirs publics mènent régulièrement des opérations d’alerte préventive auprès des populations.
Les causes de débordements et autres attaques sont donc nombreuses et les systèmes de surveillance complexes, toujours à perfectionner.
Érosion et submersion marines liées au réchauffement
L’élévation du niveau marin est due à la fonte des glaciers et calottes glaciaires ainsi qu’à l’expansion des océans par dilatation liée à l’augmentation de la température de l’eau. Le niveau de la mer a déjà augmenté d’une vingtaine de centimètres depuis le début du XXe siècle. La hausse du niveau marin régional correspond à la moyenne mondiale. L’élévation s’accélère dans le monde entier. Elle est aujourd’hui deux fois plus rapide qu’il y a dix ans : dans les années 1993-2002, elle était de +2,1 mm/an, puis dans les années 2003-2012, de +2,9 mm/an. Sur la dernière décennie, de 2013 à 2022, le niveau a augmenté de 4,4 mm/an. À l’horizon 2050 cette hausse pourrait atteindre un centimètre par an selon la dynamique de fonte des calottes polaires arctique et antarctique.
Cette élévation du niveau marin, qui s’accélère, augmente l’exposition des territoires littoraux aux vagues de submersion, qu’elles soient liées aux tempêtes ou à des mouvements de terrain : tremblements de terre ou effondrements sous-marins. Le niveau de la mer étant plus haut, plages et ouvrages sont donc beaucoup plus vulnérables, rendant les évènements de submersion potentiellement plus destructeurs. Lors des fortes tempêtes, inondations fluviales et submersions marines peuvent être concomitantes, et augmenter de façon considérable les risques au niveau des embouchures des fleuves et deltas. Les phénomènes d’érosion côtière sont complexes.
Les impacts seront très forts notamment sur les littoraux sableux. Les côtes rocheuses seront également concernées mais dans une moindre mesure.
Une côte fragile
À l’heure actuelle, la densité sur le littoral français est 2,4 fois plus élevée que la moyenne nationale (285 hab/km² contre 116 hab/km²), l’artificialisation des terres et la densité de construction de logements respectivement 2,6 et 2,7 fois plus importante et le nombre de lits touristiques 163 fois plus élevé.
En raison du faible niveau des marées en Méditerranée, les infrastructures portuaires, industrielles, routières, aéroportuaires, les aménagements ou les habitations sont souvent construits trop près du niveau marin, ce qui y accroît leur vulnérabilité. L’enjeu est donc considérable !
Cette détérioration du trait de côte avec éboulements, déplacements, destructions d’objets et d’habitations ou constructions diverses conduira, dans certains cas, à une délocalisation de plus en plus poussée vers l’intérieur des terres, avec la dévalorisation concomitante des biens des personnes touchées.
Dans les estuaires, la submersion s’accompagne d’une avancée vers les terres du biseau salé (eau de mer qui rentre dans les terres), touchant les zones humides et les nappes phréatiques avec des conséquences sur la potabilité de l’eau et les pollutions.
Exemple du grignotage de la Camargue
Près de l’embouchure du petit Rhône aux Saintes-Maries-de-la-Mer, les terres ont reculé d’un kilomètre depuis les années 1950. La montée des eaux s’accélère depuis une vingtaine d’années. La mer monte de 3,7 millimètres chaque année. Au XXe siècle, le niveau n’augmentait que de 2 mm par an. Quand la mer déborde, sur ces terrains plats, l’eau salée va loin.
La multiplication des inondations pourraient donc rendre les terres impropres à la culture. La nappe pourrait être en péril car l’eau arrive de la Durance et l’intrusion marine pourrait avoir de graves conséquences sur l’eau utilisée par les agriculteurs et les industriels à Fos sur Mer.
L’évaporation des eaux sous l’action du soleil, plus intense du fait de l’augmentation de température, impacte l’atmosphère en y apportant plus de chaleur (cf. pluies torrentielles sur le Mercantour) et la mer qui fait parfois barrage à l’écoulement de certains fleuves, peut aggraver les inondationslors d’épisodes pluvieux, la houle faisant office de bouchon obstructeur.
Le casse-tête de l’assurance
Depuis novembre 2023 mais rendu public début mars 2024, un rapport inter-inspections dévoile des propositions pour financer la lutte contre l’érosion côtière et soutenir les propriétaires et collectivités impactés. La mission rejette tout dispositif d’indemnisation globale (fonds Barnier) et privilégie une intervention sélective de la solidarité nationale pour les propriétaires occupants de résidences principales. Pour soutenir les collectivités, elle recommande de mobiliser prioritairement les dispositifs existants, en abondant le fonds vert et en s’appuyant notamment sur la taxe Gemapi.
L’Association nationale des élus du littoral (Anel) souhaite, quant à elle, un financement basé sur la solidarité nationale, aurait souhaité le reversement d’une part de la taxe sur l’éolien en mer. Elle rejette l’obligation potentiellement imposée aux communes d’intégrer la liste du décret sous contrainte (liste des communes touchées par le retrait du trait de côte. Certaines communes refusent d’y figurer pour garder un prix du foncier plus élevé), et souhaiterait que les résidences secondaires soient intégrées dans le dispositif.
Éléments pour lutter contre les vagues de submersions
- Des solutions douces de génie écologique, avec des ouvrages légers, permettent de conserver ou de restaurer un site, tout en conservant sa dynamique naturelle tel les ouvrages de restauration dunaire « piégeurs de sable » qui sont des lignes de ganivelles qui se recoupent, les ouvrages de mise en défense pour gérer la fréquentation, la végétalisation, le paillage…
- Ralentir et émousser la force des vagues de submersion avant la côte : les élus de la Communauté de communes du Golfe de Saint-Tropez ont validé l’enveloppe financière « destinée à entreprendre l’installation de digues sous-marines et divers aménagements maritimes ». Plusieurs marchés ont été attribués, qui concernent ces digues prévues devant les plages de Sainte-Maxime. Il s’agit principalement d’enrochements, qui seront ajoutés après des terrassements sous-marins et la pose de géotextiles de filtration. Aujourd’hui, les limites fonctionnelles de ce type d’ouvrage ont largement été démontrées et le nombre de constructions se réduit depuis les années 1990 du fait des conséquences négatives : artificialisation des paysages littoraux, report de l’érosion en aval de l’ouvrage, érosion accentuée au pied de l’ouvrage… l’opposition se lève contre une digue sous-marine à Hyères.
- Recomposer le littoral. Le risque accru de submersion marine climatique remet en cause l’occupation et l’usage de certains territoires littoraux. Les recomposer est une nécessité pour soustraire progressivement les activités, les biens et les personnes à ces menaces. Cette recomposition peut s’envisager comme une opération d’aménagement dont la réalisation peut s’étendre sur plusieurs années, voire des décennies. Le maintien temporaire d’ouvrages de protection peut permettre d’organiser dans le temps ce repli.
A Hyères-les-Palmiers, la commune a lancé des études pour quantifier les risques littoraux : érosion, submersion et concomitance inondation/submersion, en tenant compte de l’élévation programmée du niveau de la mer. L’objectif est d’identifier, à différentes échelles temporelles (2030, 2050 et 2100), les enjeux, biens et activités susceptibles d’être menacés et définir un programme d’actions et d’aménagement à long terme. Cela a mis en évidence une zone d’habitat pavillonnaire soumise à de forts risques dont il apparaît nécessaire d’envisager le déplacement à long terme, le quartier historique de l’Ayguade, susceptible d’être impacté à terme par la submersion marine, qui nécessite des prescriptions urbanistiques, notamment en termes de mutation de l’habitat, et une zone de front de mer dont la morphologie actuelle protège le rétro-littoral et qui devra garder ce rôle tout en faisant l’objet d’une requalification paysagère. Aucune décision n’a été prise à la suite de cette étude.
Nos propositions
- Lutter contre le dégagement de gaz à effet de serre ;
- Aider les communes à mettre en place des démarches de concertation pour penser le long terme afin d’acculturer les citoyens aux risques à venir et les rassurer, intégrer leur participation à la co-construction de solutions. Trop d’aménagement ne prennent pas en compte le futur calculé par les scientifiques et ainsi gâchent des sommes importantes qui pourraient avoir d’autres usages ;
- Préserver les posidonies ;
- Utiliser des méthodes douces de lutte contre l’érosion pour préserver les côtes sableuses ;
- Renforcer et systématiser des dispositifs de surveillance, d’évaluation, d’alerte systémique ;
- Renforcer l’information et les formations pour le public (campagnes télé, radio, téléphone via sms).
Sources & ressources
Article rédigé en collaboration avec Antoine Nicault du GREC PACA,
https://www.maregionsud.fr/actualites/detail/le-plus-precieux-de-nos-herbiers
https://www.cerema.fr/system/files/documents/2021/09/01_benchmarking_rapport_v1-2.pdf