[S·EAU·S 8/16] L’eau et l’énergie
Partager

En finir avec le nucléaire et améliorer les chaînes hydroélectriques

Les centrales nucléaires réchauffent l’eau du Rhône et détériorent sa qualité ; parallèlement il est possible d’optimiser la production hydroélectrique en utilisant davantage les énergies renouvelables moins chères et dont la puissance augmente.

Contexte

L’eau est nécessaire pour produire ou transformer l’énergie. L’hydroélectricité utilise directement l’eau. Celle-ci est également nécessaire pour le refroidissement des centrales thermiques, dont les centrales nucléaires. Elle l’est aussi pour la production des plantes utilisées en biocarburants. 

Beaucoup d’eau est nécessaire pour la chaîne de fabrication des hydrocarbures, pour les mines d’uranium et pour toutes les installations industrielles fabricant des éléments tels que les cellules photovoltaïques, les turbines, les éoliennes, les lignes électriques pour transporter le courant, etc. 

Quelles sont les particularités de Provence-Alpes-Côte d’Azur en la matière ?

L’axe rhodanien

L’axe rhodanien est totalement maîtrisé à la fois quant à la navigation (biefs à faible pente, débit régularisé, écluses à grand gabarit) et à l’équipement énergétique (17 TWh/an), imputable aux centrales hydroélectriques. 

A noter que la concession du Rhône a été reconduite en catimini à la CNR, filiale à 50% du groupe privé Engie, pour 18 ans alors qu’il n’y avait pas d’urgence et qu’un rapport de la Cour des comptes, publié quelques jours après les débats (mais finalisé 6 mois plus tôt), dénonçait – sur la période 2003-2020, des profits hors norme, des sous-investissements et une gestion « qui ne bénéficie plus aux consommateurs ». 

Le Rhône est également utilisé comme fluide de refroidissement de l’» artère électronucléaire ». Si les implantations initiales expérimentales, puis semi-industrielles de l’ensemble Marcoule-Pierrelatte sont déjà anciennes, le programme électronucléaire français a complété l’équipement électronucléaire avec les unités de Bugey, Tricastin (centrale et usine d’enrichissement), Saint-Maurice-l’Exil (centrale de Saint-Alban) et Cruas, alors que la centrale de Creys-Malville, équipée du surgénérateur Super-Phénix, a été arrêtée.

14 réacteurs nucléaires sont implantés le long du Rhône : huit avec des refroidissements à circuit ouvert qui prélèvent l’eau pour refroidir les installations et la rejettent plus chaude dans le milieu dans des conditions encadrée et 6 à refroidissement en circuit fermé sans rejet dans le milieu… 

Nucléaire et augmentation de la température du fleuve

Depuis 1960, la température de l’air a augmenté en moyenne de 1,8 °C le long des 810 kilomètres du cours français du fleuve, du Léman à la Méditerranée, avec des pointes à +3,6 °C au sud de l’Ardèche. 

Depuis 1970, la température moyenne annuelle de l’eau du fleuve a augmenté de 2,2 °C dans son secteur nord, près du lac Léman, et de 4,5 °C au sud, dans la région de Beaucaire (Gard) et la contribution des Centres Nucléaires de Production d’Électricité qui varie en cours d’année, représente en moyenne la moitié de l’échauffement.

En 2022 , EDF a été autorisée à dépasser les limites thermiques fixées pour ses rejets, sinon une réduction de production de 10 % aurait été nécessaire.

Ce phénomène est accentué par la baisse du débit du Rhône. La production des centrales hydroélectriques est également diminuée.

La pollution thermique rend l’eau impropre à la consommation. En effet la réglementation a fixé une température maximale de distribution d’eau à ne pas dépasser (25 °C) pour éviter la prolifération des bactéries pathogènes. Or la centrale de Bugey est autorisée à réchauffer l’eau du Rhône jusqu’à 26°C, donc, plus que la température maximale autorisée par la réglementation sanitaire. Et l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) accorde même des dérogations à EDF pour dépasser cette limite en périodes chaudes. 

Sous influence de températures plus élevées, les peuplements piscicoles du Rhône voient une augmentation des espèces d’eaux chaudes et peu courantes dont certaines sont allochtones comme le silure ou le poisson-chat.

La chaîne hydro-électrique Durance-Verdon – caractéristiques.

Production d’électricité : elle est constituée de 16 barrages, 24 centrales hydro-électriques et un canal de 250 km de long depuis le lac de Serre-Ponçon, le plus grand lac artificiel de France, construit en 1959, d’une capacité de 1,272 km3 (milliards de mètres-cubes), jusqu’à l’étang de Berre.

EDF Hydro Méditerranée exploite la chaîne hydroélectrique Durance-Verdon et gère les multi-usages de l’eau associés à ses grandes retenues (2 milliards de m3 d’eau stockés permettant la production de 35 % de l’électricité produite en Provence-Alpes-Côte d’Azur). 

La gestion centralisée pour l’ensemble de la chaîne permet, en quelques minutes, de mobiliser 2 000 MW. Le lancement et l’arrêt rapide de la production d’électricité est indispensable pour équilibrer demande et production sur le réseau national, flexibilité impossible pour les centrales nucléaires. Cette réactivité est de plus en plus vitale avec le développement des énergies renouvelables intermittentes.

Irrigation : Plus de 80 000 hectares de terre agricole

Eau potable (voir la fiche ad’hoc)

Tourisme : 40 % de la destination touristique estivale des Hautes-Alpes. 5 000 professionnels

Finances : Les barrages sont rentabilisés depuis longtemps. Un milliard d’euros de bénéfices par an.

Privatisation : La commission européenne menace de mise en concurrence pour la concession des barrages. S’il y avait privatisation, il y aurait un manque à gagner pour EDF, donc l’État, alors qu’ils ont été construits avec de l’argent public. Si des acteurs différents géraient cette chaîne, on verrait une augmentation des coûts de production par diminution de l’optimisation du système d’exploitation complexe. La sécurité est plus fiable s’il n’y a qu’un seul gestionnaire. 

Le groupe écologiste, solidarité et territoires au Sénat a déposé en septembre 2021 un projet de loi « visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public » en mettant « l’ensemble des installations hydrauliques aujourd’hui placées sous le régime de concession et dont la puissance excède 4 500 kilowatts sous un régime de quasi-régie afin d’en assurer directement la gestion et d’éviter la mise en concurrence de ces derniers. » Projet de loi rejeté car contraire au libéralisme dominant.

Changement climatique : L’eau devient de plus en plus rare, il faut arbitrer entre les différents usages de l’eau, agriculture et tourisme. Ce ne sont pas des acteurs privés qui le pourront. Ce problème a été très aigu lors de la sécheresse de 2022 pendant laquelle le lac de Serre-Ponçon était descendu à moins 17 mètres de sa côte habituelle. La production d’électricité de l’ensemble de la chaîne Durance-Verdon avait été déficitaire de plus de 40 % cette année de forte sécheresse par rapport à une année classique. 

Un aménagement de l’ensemble de la Chaîne d’usines EDF de la Durance de Serre-Ponçon à Saint Chamas pour un fonctionnement réversible, est préconisé par l’association l’Étang Nouveau pour éviter les rejets d’eau douce dans l’Étang de Berre. Il s’agit d’ajouter aux 2 000 MW environ de turbinage actuellement installés, de 2 000 à 5 000 MWc de pompage, avec renforcement des stockages intermédiaires, modification du canal pour un fonctionnement éventuel dans les deux sens, et création au Nord-ouest de l’Étang de Berre d’une réserve d’eau douce pour recueillir le turbinage de Saint Chamas et servir aux besoins locaux, sans plus polluer l’Étang de Berre. Simultanément la création de «fermes solaires», éventuellement en premier lieu sur le canal EDF lui-même, pour limiter l’évaporation permettrait ainsi un stockage journalier de l’énergie solaire.

Un des avantages de l’amélioration de la production électrique par combinaison d’énergies renouvelables et station de transfert d’énergie par pompage (STEP), au lieu des usines hydroélectriques fonctionnant au fil de l’eau est qu’il est possible de renaturer des tronçons de rivière en consacrant un débit réservé plus important, mais aussi un débit garanti en période de sécheresse pour préserver les biotopes sans oublier les sports nautiques qui pourront se voir allouer des volumes d’eau à consommer pour compenser les aléas naturels. 

Les autres aménagements hydroélectriques

Il s’agit essentiellement de l’aménagement de la Roya. Celui-ci pensé à différentes époques, manque de cohérence. Compte-tenu des épisodes météorologiques méditerranéens qui vont se succéder (Alex, Aline en 2023), et qui nécessitent de ralentir les crues, il serait utile d’avoir une nouvelle réflexion sur l’est des Alpes-Maritimes pour améliorer le système global

Les bassins du Var et de la Siagne, qui disposent déjà d’installations hydroélectriques, devraient eux-aussi faire l’objet d’études d’opportunité d’autant plus que presque un million de personnes en tirent leur eau potable.

Dans le Verdon, il y a déjà un fonctionnement en STEP dans la partie aval mais il pourrait être complété voire renforcé, les conditions techniques étant optimales (barrages entre deux lacs). La présence du Grand Canyon du Verdon compliquerait une extension en amont de Sainte-Croix.

Une STEP intersaisonnière pourrait être envisagée entre Haut Verdon et Haut Var et le Grand Coyer mais nécessiterait des travaux colossaux.

A une échelle plus réduite, le turbinage de l’eau potable peut permettre de produire de l’électricité. Il s’agit d’utiliser la pente des conduites d’eau potable et supprimer les réducteurs de pression souvent bruyants et favorisant l’usure de la tuyauterie. On ne touche ni au torrent, ni on ne dérive l’eau.

Les avantages sont nombreux :

  • Très peu d’impact sur l’environnement. La canalisation préexiste. Seuls sont nécessaires la construction de la microcentrale hydroélectrique et le raccordement au réseau
  • Un retour sur investissement relativement rapide
  • Une rentrée financière pour le service de l’eau permettant la baisse des tarifs aux usagers.
  • Pas d’impact sur la qualité de l’eau, l’ARS imposant un cahier des charges strict (matériaux inoxydables, huiles compatibles avec la consommation…)
  • La valorisation d’une ressource locale utilisée localement

A titre d’exemple, la station de turbinage de l’Addoux a été installée en 2018. Elle produit 470 000 kWh/an, avec un retour sur investissement en 14 ans. La station de turbinage des Airelles permet de turbiner une 2ème fois l’eau potable avant qu’elle n’alimente les réservoirs des Salettes. Et une autre station en aval permet de turbiner une troisième fois l’eau potable avant qu’elle n’abreuve les usagers… et des installations hydroélectriques valorisant l’eau des canaux et des eaux pluviales.

Le retour des expériences briançonnaises sur le turbinage au fil de l’eau des canalisations de distribution peut inspirer des projets hors zone de montagne. En PACA, la ville d’Hyeres étudie un projet sur son réseau. 

Nos propositions

  • Limiter au maximum le changement climatique en réduisant le recours aux énergies fossiles ;
  • Respecter strictement la réglementation sur les rejets des centrales nucléaires
  • Stopper les centrales nucléaires à leur fin de vie ;
  • Rendre réversible le système hydroélectrique Durance-Verdon ;
  • Examiner l’intérêt de mise en place de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) alimentée grâce aux énergies renouvelables, qui permettent de stocker ces énergies intermittentes ;
  • Développer les ripisylves : la végétation y foisonne, permettant de baisser localement la température et filtrer les polluants grâce aux sédiments et l’important système racinaire. 

Sources et ressources