Cohn-Bendit condamné pour «non-assistance à Europe en danger»
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Dans une mise en scène un peu longue mais plutôt réussie, les écologistes ont organisé ce jeudi soir à Paris le procès de Daniel Cohn-Bendit en guise de meeting final. Dernière carte pour emballer la fin de campagne européenne.

RÉCIT par Lilian ALEMAGNA pour Libération :

«On fait la totale Dany». Perché sur la mezzanine du gymnase Japy dans le XIe arrondissement de Paris, un responsable écologiste assume cette omniprésence de Daniel Cohn-Bendit en fin de campagne pour soutenir les listes Europe Ecologie. Interview dans Libération, Une de M magazine, 20 heures de TF1, présence sur les affiches électorales et invité spécial du dernier meeting des écologistes qui ont organisé ce jeudi soir son… procès. La carte Dany avait permis de dépasser les 16% en 2009. Alors, malgré sa retraite politique annoncée et avant de s’envoler pour la Coupe du monde au Brésil, revoilà le désormais «ex» coprésident des eurodéputés écologistes qui se démultiplie pour gratter quelques précieuses voix dans une élection européenne encore indécise.

JOLY JUGE, BOVÉ PROCUREUR
Alors voilà Cohn-Bendit jeté dans un box, à la gauche d’Eva Joly qui rendosse ses habits de juge d’instruction pour l’occasion et Pascal Durand, tête de liste en Ile-de-France, en président du tribunal. Tout le décor d’une salle d’audience est là. Ses chefs d’accusation? Multiples… «trouble à l’ordre public et trouble à l’ordre établi», «délit de polyglotie», d’«occupation illégale prolongée de l’espace public», d’«abus de confiance, publicité mensongère, et injure publique». La preuve à l’écran: une séquence au Parlement européen le montre lâchant un «ta gueule!» au social-démocrate Martin Schulz. Le même est aujourd’hui candidat du Parti socialiste européen pour la présidence de la Commission…

«Vous êtes coupable, coupable coupable […] parce que votre truc c’est l’Europe, l’Europe, l’Europe», lui assène Joly après avoir glissé qu’il aime «défier l’ordre établi avec le même sourire gourmand qu’un Manuel Valls venant de reconduire une dizaine de Roms à la frontière au mépris des valeurs européennes». Appelées à la barre, les différentes têtes de liste d’Europe Ecologie défilent en tant que témoins. Parfois dans un mode bisounours comme Karima Delli lorsqu’elle le dit «coupable» d’avoir fait entrer les écologistes dans une «Europe trop étroite pour nos rêves», parfois en arrivant à glisser intelligemment leurs propositions: «Les écologistes seront les seuls à mener une politique ambitieuse pour le climat, pour l’industrie, et pour l’emploi, explique Sandrine Bélier, eurodéputée sortante et tête de liste dans l’Est. C’est grâce aux écologistes que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne se fera pas!». La salle applaudit. José Bové, procureur d’un soir, intervient: «Vous vous croyez dans un meeting? On est dans un tribunal. C’est trop facile… et je sais de quoi je parle».

PIÈCES À CONVICTION
Les pièces à conviction montrent à l’écran un Cohn-Bendit au bord des larmes dans l’enceinte strasbourgeoise face à Nicolas Sarkozy, lui reprochant d’aller aux JO de Pékin, ou encore face au Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Emmanuelle Cosse arrive pour dresser le profil du prévenu: «Dany» souffre de «pathologie proeuropéenne», «trouble de la personnalité multiple». Pour la numéro un d’EE-LV, c’est «un engagé schizophrène, un Européen hystérique». En somme: «un idéaliste». Les avocats de la défense, la jeune Clarisse Heusquin, candidate dans le centre et Mohamed Mechmache, numéro 3 en Ile-de-France, n’ont pas grand-chose à dire. «Le prévenu, je vous le dis, il est mal barré!» s’amuse Durand.

Arrive le dernier témoin: Cécile Duflot aux «qualités nombreuses mais méconnues par le prévenu», plaisante-t-elle. Les relations entre l’ex-ministre et Cohn-Bendit n’ont jamais été très faciles. Alors quand on l’appelle à témoigner contre lui, elle avoue: «J’ai souvent rêvé de ce moment». Son défaut? «Il ne fait que ce qu’il veut et QUAND il le veut», dit-elle avant de se lancer dans un plaidoyer pour «l’Europe» qui permet de «maîtriser notre destin», d’être une «grande puissance capable de parler d’égal à égal» avec Poutine, Obama ou la Chine. Elle ne peut s’empêcher de se rappeler aux bons souvenirs de François Hollande lorsqu’elle promet un changement et «pas les changements qu’on promet dans les discours de campagne ou la Bastille et qu’on oublie dès qu’on est élu». Mais voilà le témoin Duflot, appelée à condamner Cohn-Bendit se retourne, au grand dam du procureur Bové: «Je veux lui dire merci […] si l’Europe avance, c’est grâce à des militants comme lui». Elle va le chercher, retourne avec lui à la barre et se met à chanter en allemand l’Ode à la joie, hymne européen sur l’air de la 9e symphonie de Beethoven. Après ce passage, on en sait plus sur les deux: Duflot chante juste, pas Cohn-Bendit.

RÉQUISITOIRE
Au bout d’une heure et demie d’audience, Bové attaque son réquisitoire, rappelle qu’en 2005, Cohn-Bendit n’avait «pas choisi le bon camp» et lui propose deux condamnations: soit se présenter à l’élection présidentielle de 2017 ou au moins participer à la primaire socialiste de 2016. «Mais attention, fait remarquer Bové. Vu l’état du PS, M. Cohn-Bendit risque de gagner la primaire 2016!» Deuxième proposition? «Rééquilibrer votre production littéraire», lance Bové, lui intimant de faire un livre «avec Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Dupont-Aignan».

A la barre, Cohn-Bendit, en veste bleue, vient se défendre tout seul. «Je n’ai pas mauvaise conscience! clame-t-il. La fin de l’histoire, ça ne peut pas être un oui ou un non, la fin de l’histoire, ça s’appelle l’Europe fédérale». Un coup contre Sarkozy et sa tribune dans «Le Point»: «Si vous lisez cette contribution, c’est du bidon! Ce n’est pas avec du bidon qu’on va sauver l’Europe!» Un autre sur le projet de Grand marché transatlantique: «On peut et on doit être contre le traité proposé […] mais de grâce, ne laissons pas un antiaméricanisme bête et méchant dans une critique intelligente!»

Comme à son habitude, Cohn-Bendit s’emballe et enchaîne les valeurs. Par exemple sur la «solidarité» à avoir avec les migrants: «Parce qu’il n’y a pas de porte pour entrer en Europe, ils rentrent par la fenêtre!» Ou encore sur les paradis fiscaux: «si les banques n’ouvrent pas leurs comptes, elles n’auront plus le droit de faire des affaires en Europe!» Après plus d’une heure de défense en solo, il rappelle que son départ à 69 ans peut être temporaire: «Je vous promets qu’en 2019 [si le scrutin se fait au suffrage universel direct] je serai candidat à l’élection du président de la… République» La salle se marre. Il voulait dire Commission. Il reprend: «Ce dont j’ai peur, finit-il, c’est que j’ai une chance d’être élu». Verdict: Relaxe. Mais condamné néanmoins pour «non-assistance à Europe en danger» et «à rester aux côtés des écologistes». La sentence de Durand est lourde: «Tu vas devoir adhérer à un groupe local!» Dur.

Lilian ALEMAGNA Libération
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